La symbolique et la
pratique de la posture de
Śivanaṭarājāsana
dans la pratique
du Haṭha yoga
Le Yoga n’est
pas une gymnastique ni même une activité de détente, mais une
discipline philosophique et spirituelle où le pratiquant, tel un «
chamane », s’approprie les forces symboliques des postures qu’il
pratique. Ces postures (Āsana)
peuvent être issues du monde animal, du règne végétal, de figures
héroïques, de dieux ou d’éléments du cosmos.
Pour Goraksha
, fondateur historique du Haṭha yoga
, « il y a autant de postures qu’il y a d’êtres vivants ».
Dans l’immense panthéon des postures (Āsana)
du Haṭha yoga (Yoga
de l’effort ardent), difficile donc d’en
extraire une plus que les autres. Mais la posture emblématique du
danseur Śivanaṭarājāsana
est comme un totem qui représente bien
toutes les qualités requises au Yogi
ou à la Yogini pour
progresser dans la pratique. Il faut à la fois la force nécessaire
dans la pratique (sthira)
avec un ancrage physique et une concentration sans faille mais aussi
la grâce et l’aisance (sukha)
aussi bien que le lâcher prise mental pour faire surgir toutes les
propriétés énergétiques et symboliques de la posture.Il y a
plusieurs variantes de cet équilibre comme souvent pour les postures
et qui diffèrent selon les lignées ou écoles. Après tout, peu
importe, car ce qui compte le plus c’est la dynamique intérieure.
Nous allons nous référer à la représentation la plus connue que
l’on voit très régulièrement en statue de bronze et photo
ci-dessous.
La danse fait partie de l’héritage humain depuis
des temps immémoriaux qui évoquent des danses près ou autour du
feu. En Inde, elle existe même avant l’homme puisque Śiva,
le danseur qui porte un petit tambour (damaru)
dans sa main droite, initie la danse cosmique qui fait naître le
monde. Dans sa main gauche, une flamme symbolisant la dissolution du
monde.
Dans la représentation de la posture qui est donc
une statue ou une illustration très courante en Inde, de son pied
gauche, Śiva écrasé
Apasmāra le démon de
l’ignorance . Et de son pied droit il indique l’immensité du
cosmos. Le cosmos en grec, c'est l’ordre , ce sont aussi les lois
de la vie.
Śiva
est la divinité qui représente l’énergie de dissolution qui va
permettre la régénérescence.
Chaque fois que la posture est pratiquée, elle est
nouvelle, différente selon son âge, son corps, son attitude
mentale, émotionnelle etc…il y a sans cesse cette dynamique de
renouvellement.
Et puis en écrasant le démon Apasmāra,
Śiva
nous invite a écrasé notre ego. Il n’y a rien de plus éclairant
que les postures d’équilibre pour savoir humblement accepter les
limites du moment. Être dans l’instant est de rigueur et surtout
s'ajuster en permanence.
Bien entendu, lorsque la posture est stable et que le
lâcher prise surgit, l'élan vers le cosmos et son équilibre aussi
puissant que fragile s’installe dans notre être l’instant d’un
souffle.
Pour aider le pratiquant à stabiliser la posture, il
y a évidemment le regard qui peut se fixer au sol et le souffle
calme et régulier, mais aussi la concentration sur Anāhata
l’espace du cœur, le centre énergétique du Yogi
qui coïncide avec la source universelle, et même Hridaya
, le cœur du cœur, ce qui demeure en nous.
Peu importe si on ne peut pas lever complétement la
jambe du sol, juste tenir sur un orteil et vivre intensément la
posture à tout autant d'impact.
Dans sa version statue, il y a un cercle de flamme
derrière la figure dansante de Śiva.
« Ce cercle semble avoir pour centre le cœur,
symbolisant la pulsation du cœur conscience » (Colette
Poggi).
Dans la posture, nous prenons Jnana
mudrā , geste (sceau) de la sagesse ou
connaissance. L’index et le pouce sont liés. Le pouce représente
Brahmā et l’âme
universelle et l’index l’âme individuelle. De plus, le cercle
représente la perfection, ce qui n’a pas de commencement ni de
fin.
Bien entendu, il faudra pratiquer la posture de
chaque côté. D’abord installer les bases physiques : genou
légèrement fléchi, force dans la jambe, jnana-mudra, alignement de
la colonne. Les effets sont multiples : renforce le quadriceps,
développe la proprioception, stimule les articulations des genoux et
chevilles, redresse la colonne.
Puis développer une stabilité mentale : placement
du regard, stabilité du souffle. Les effets : ralentissement du
système nerveux sympathique, meilleur concentration, développe la
connaissance de soi et l'humilité.
Pour enfin laisser se développer toutes les nuances
que nous venons d’évoquer (danse de la vie, conscience-énergie,
régénérescence…) qui nourrissent l’être du plan le plus
grossier vers le plan le plus subtil. « Les pieds sur terre pour
mieux bondir dans les airs » comme disait le peintre
Mirò.
Voilà comment d’une « simple » posture de Yoga
peut surgir tout un monde, toute une mythologie, des gestes
ancestraux qui perpétuent les lois du cosmos ou le corps humain
devient une analogie de cette immensité.
« Je ne pourrai croire qu'en un Dieu qui saurait danser
».
Nietzsche, Ainsi
parla Zarathoustra